lundi 26 novembre 2007

La fuite de la famille royale à Varennes, par la comtesse de Boigne


LE RETOUR DE VARENNES, GRAVURE ANONYME XVIIIè


Ce fut de sa fenêtre du pavillon de Marsan que mon père vit arriver l'horrible escorte qui ramenait au château, à travers le jardin, les illustres prisonniers.
Ils furent une heure et demie à se rendre du pont tournant au palais.
A chaque instant, le peuple faisait arrêter la voiture pour les abreuver d'insultes et avec l'intention d'arracher les gardes du corps qu'on avait garrottés sur le siège. Cependant cet affreux cortège arriva sans qu'il y eût de sang répandu. S'il en avait coulé une goutte, probablement tout ce qui était dans ce fatal carrosse eût été massacré.
Tous s'y attendaient et s'y étaient résignés.
Aussitôt qu'il fut possible de pénétrer jusqu'aux princes, mon père y arriva. La Reine lui raconta les événements avec autant de douceur que de magnanimité, n'accusant personne et ne s'en prenant qu'à la fatalité du mauvais succès de cette entreprise qui pouvait changer leur destin.
Il y a bien des relations de ces événements, mais l'authenticité de celle-ci, recueillie de la bouche même de la Reine, me décide, à retracer les détails qui me sont restés dans la mémoire parmi ceux que j'ai entendu raconter à mon père.

La voiture de voyage avait été commandée par madame Sullivan (depuis madame Crawford) que monsieur de Fersen y avait employée pour une de ses amies, la baronne de Crafft.
C'était pour cette même baronne, sa famille et sa suite qu'on avait obtenu un passeport parfaitement en règle et un permis de chevaux de poste. La voiture avait été depuis plusieurs jours amenée dans les remises de madame Sullivan. Elle se chargea du soin d'y placer les effets nécessaires à l'usage de la famille royale. On aurait désiré que les habitants des Tuileries se dispersassent, mais ils ne voulurent pas se séparer. Le danger était grand, et ils voulaient, disaient-ils, se sauver ou périr ensemble.
Monsieur et Madame, qui consentirent à partir chacun de leur côté, arrivèrent sans obstacle.
A la vérité, ils ne cherchèrent que la frontière la plus voisine et le Roi, ne devant pas quitter la France, n'avait qu'une route à suivre.

On avait pris beaucoup de précautions, mais la dernière manqua. La berline de la baronne de Crafft devait être occupée par le Roi, la Reine, madame Élisabeth, les deux enfants et le baron de Viomesnil. Deux gardes du corps en livrée étaient sur le siège. Madame de Tourzel ne fut informée du départ qu'au dernier moment. Elle fit valoir les droits de sa charge qui l'autorisaient à ne jamais quitter monsieur le Dauphin.
L'argument était péremptoire pour ceux auxquels il était adressé, et elle remplaça monsieur de Viomesnil dans la voiture.
Dès lors, la famille royale n'avait avec elle personne en état de prendre un parti dans un cas imprévu. Ce n'étaient pas de simples gardes du' corps, quelque dévoués qu'ils fussent, qui assumeraient cette responsabilité. Cette décision fut connue trop tard pour qu'on y pût remédier.

Le jour et l'heure arrivés, le Roi et la Reine se retirèrent comme de coutume et se couchèrent. Ils se relevèrent aussitôt, s'habillèrent de vêtements qu'on leur avait fait parvenir, et partirent seuls des Tuileries. Le Roi donnait le bras à la Reine en passant sous le guichet, les boucles de ses souliers s'accrochèrent, il pensa tomber. La sentinelle l'aida à se soutenir, et s'informa s'il était blessé. La Reine se crut perdue. Ils passèrent. En traversant le Carrousel, ils furent croisés par la voiture de monsieur de Lafayette les flambeaux portés par ses gens éclairèrent l'auguste couple. Monsieur de Lafayette avança la tête ils eurent l'inquiétude d'être reconnus, mais la voiture continua sa course. Enfin, ils atteignirent le coin du Carrousel. Monsieur de Fersen les suivait de loin; il hâta le pas, ouvrit la portière d'une voiture de remise où madame de Tourzel et les deux Enfants étaient déjà placés. Monsieur le Dauphin était vêtu en fille; c'était le seul déguisement qui eût été adopté. On attendit quelques minutes madame Élisabeth.
Sa sortie du palais avait éprouvé des difficultés. Une fille de garde-robe dévouée lui donnait le bras. Le marquis de Briges était le cocher de cette voiture le comte de Fersen monta derrière.


On sortit heureusement de la barrière; La voiture de voyage ne se trouva pas au dehors, comme il était convenu. On attendit plus d'une heure. Enfin, on reconnut qu'on s'était trompé de barrière. Le lieu proposé d'abord pour le rendez-vous avait été changé, on avait négligé de prévenir monsieur de Briges. Afin de ne point repasser les barrières, il fallut faire un assez long détour pour gagner celle où se trouvait la voiture de poste. Elle y était, en effet, mais il y avait eu beaucoup de temps perdu. Les illustres fugitifs s'y établirent promptement. Ce fut dans ce moment que monsieur de Fersen remit à un des gardes du corps, qui n'en avait pas, ses pistolets sur lesquels son nom était gravé et qui ont été trouvés à Varennes. Aucun accident ne retarda la marche les postillons, bien payés, sans exagération, menaient rapidement.
En voyant Charles de Damas à son poste, les voyageurs se flattèrent que les retards apportés, à leur départ n'auraient pas de suites fâcheuses, ils commencèrent à prendre quelque sécurité.

Il faisait une chaleur extrême.
Monsieur le Dauphin en souffrait beaucoup.
On baissa les jalousies qu'on tenait levées et, en arrivant au relais de Sainte-Menehould, on oublia de tirer les stores du côté du Roi et de la Reine placés vis-à-vis l'un de l'autre.
Leurs figures, et surtout celle du Roi, étaient les plus connues.
Le Roi aperçut un homme, appuyé contre les roues de la voiture qui le regardait attentivement Il se baissa sous prétexte de jouer avec ses enfants et dit à la Reine de tirer le store dans quelques instants, sans se presser! Elle obéit, mais, en se relevant, le Roi vit le même homme appuyé sur la roue de l'autre côté de la voiture et le regardant attentivement.
Il tenait un écu à la main et semblait confronter les deux profils mais il ne, disait rien.

Le Roi dit : « Nous sommes. reconnus, serons-nous trahis? C'est à la grâce de Dieu. »

Récits d'une tante : mémoires de la comtesse de Boigne, née d'Osmond. Tome I. Versailles. L'Emigration. L'Empire. La Restauration de 1814.


LA COMTESSE DE BOIGNE PAR JEAN BAPTISTE ISABEY




Liens et copie :

http://madameroyale.free.fr/varennes.htm

http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?s=d7ed8d2b7e32ed6d1ea87f91c4d2e219&showtopic=24249&st=0&#entry44829

http://www.batisseursdestuileries.org/rubrique.php3?id_rubrique=36



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