lundi 26 novembre 2007

La tête de la princesse de Lamballe portée au Temple, par Cléry, Daujon et Madame Royale


Nous étions à peine assis, qu'une tête au bout d'une pique fut présentée à la croisée. La femme de Tison jeta un grand cri ; les assassins crurent avoir reconnu la voix de la reine, et nous entendîmes le rire effréné de ces barbares. Dans l'idée que Sa Majesté était encore à table, ils avaient placé la victime de manière qu'elle ne pût échapper à ses regards : c'était la tête de Mme la princesse de Lamballe ; quoique sanglante, elle n'était point défigurée ; ses cheveux blonds, encore bouclés, flottaient autour de la pique.
Je courus aussitôt vers le roi.
La terreur avait tellement altéré mon visage, que la reine s'en aperçut ; il était important de lui en cacher la cause ; je voulais seulement avertir le roi on Mme EIisabeth ; mais les deux municipaux étaient présents.
- Pourquoi n'allez-vous pas dîner ? me dit la reine.
- Madame, lui répondis-je, je suis indisposé.

Dans ce moment un municipal entra dans la tour, et vint parler avec mystère à ses collègues. Le roi leur demanda si sa famille était en sûreté.

- On fait courir le bruit, répondirent-ils, que vous et votre famille n'êtes plus dans la tour ; on demande que vous paraissiez à la croisée, mais nous ne le souffrirons point : le peuple doit montrer plus de confiance à ses magistrats.

Cependant les cris du dehors augmentaient : on entendit très distinctement des injures adressées à la reine. Un autre municipal survint, suivi de quatre hommes députés par le peuple pour s'assurer si la famille royale était dans la tour. I,'un d'eux, en habit de garde national, portant deux épaulettes, et armé d'un grand sabre, insista pour que les prisonniers se montrassent à la fenêtre : les municipaux s'y opposèrent.
Cet homme dit à la reine, du ton le plus grossier :
- On veut vous cacher la tête de la Lamballe, que l'on vous apportait pour vous faire voir comment le peuple se venge de ses tyrans. je vous conseille de paraître, si vous ne voulez pas que le peuple monte ici.

A cette menace, la reine tomba évanouie : je volai à son secours ; Mme Elisabeth m'aida à la placer sur un fauteuil : ses enfants fondaient en larmes, et cherchaient, par leurs caresses, à la ranimer. Cet homme ne s'éloignait point; le roi lui dit avec fermeté :- Nous nous attendons à tout, monsieur ; mais vous auriez pu vous dispenser d'apprendre à la reine ce malheur affreux.
Il sortit alors avec ses camarades : leur but était rempli.

La reine, revenue à elle, mêla ses larmes à celles de ses enfants, et passa avec la famille royale dans la chambre de Mme EIisabeth, d'où l'on entendait moins les clameurs du peuple. Je restai un instant dans la chambre de la reine et regardant par la fenêtre, à travers les stores, je vis une seconde fois la tête de Mme la princesse de Lamballe. Celui qui la portait était monté sur les décombres des maisons que l'on abattait pour isoler la tour ; un autre, à côté de lui, tenait au bout d'un. sabre le coeur tout sanglant de cette infortunée princesse.
Ils voulurent forcer la porte de la tour : un municipal nommé Daujon les harangua, et j'entendis très distinctement qu'il leur disait :
- La tête d'Antoinette ne vous appartient pas, les départements y ont des droits ; la France a confié la garde de ces grands coupables à la ville de Paris: c'est à vous de nous aider à les garder, jusqu'à ce que la justice nationale venge le peuple.

Ce ne fut qu' après une heure de résistance qu'il parvint à les faire éloigner.
Le soir de la même journée, un des commissaires me dit que la populace avait tenté de pénétrer avec la députation, et de porter dans la tour le corps nu et sanglant de la princesse de Lamballe, qui, avait été traîné depuis la prison de la Force jusqu'au Temple ; que des municipaux, après avoir lutté contre cette populace, lui avaient opposé pour barrière un ruban tricolore attaché en travers de la principale porte d'entrée ; qu'ils avaient inutilement réclamé du secours de la commune de Paris, du général Santerre et de l'Assemblée nationale, pour arrêter les projets qu'on ne dissimulait pas; et que pendant six heures il avait été incertain si la famille royale ne serait pas massacrée. En effet, la faction n'était pas encore toute-puissante : les chefs, quoique d'accord sur le régicide, ne l'étaient pas sur les moyens de l'exécuter et l'Assemblée désirait peut-être que d'autres mains que les siennes fussent l'instrument des conspirateurs. Une circonstance assez remarquable, c'est qu'après son récit le municipal me fit payer quarante-cinq sous qu'avait coûté le ruban aux trois couleurs.

A huit heures du soir tout était calme aux environs de la tour ; mais la même tranquillité était loin de régner dans Paris, où les massacres continuèrent pendant quatre ou cinq jours. J'eus l'occasion, en déshabillant le roi, de lui faire part des mouvements que j'avais vus et des détails que j'avais appris. Il me demanda quels étaient ceux des municipaux qui avaient montré le plus de fermeté pour défendre les jours de sa famille : je lui citai Daujon, qui avait arrêté l'impétuosité du peuple, quoiqu'il ne fût rien moins que porté pour Sa Majesté. Ce municipal n revint à la tour que quatre mois après : le roi, se souvenant de sa conduite, le remercia.

Journal de ce qui s'est passé à la tour du Temple. Par M. Cléry
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Deux individus traînaient par les jambes un corps nu, sans tête, le dos contre terre et le ventre ouvert jusqu'à la poitrine. On fait halte devant la tribune chancelante au pied de laquelle ce cadavre est étalé avec appareil et les membres arrangés avec une espèce d'art et surtout un sang froid qui laisse un vaste champ aux méditations du sage.
A ma droite, au bout d'une pique, était une tête qui souvent touchait mon visage par les mouvements du porteur en gesticulant. A ma gauche, un autre plus horrible, tenait d'une main, les entrailles de la victime, appliquées sur mon sein, et de l'autre un grand couteau.
Par derrière eux un grand charbonnier tenait, suspendu à une pique au dessus de mon front, un lambeau de chemise trempé de sang et de fange. (...)
La foule était déjà prodigieuse dans la rue ; nous faisions ouvrir les deux battants de la grande porte, afin que les personnes qui étaient en dehors prennent des sentiments de douceur en voyant nos intentions pacifiques. Une grande partie de la garde nationale, rangée en haie, sans armes, depuis la porte extérieure jusqu'à la seconde porte, les confirma dans cette opinion (...). Une ceinture tricolore, attachée à la hâte au devant de la porte sur la rue est le seul obstacle que le magistrat veut opposer à ce torrent que rien ne semble pouvoir contenir (...).
A l'aspect du signe révéré, ces coeurs gros de sang et de vin semblent déposer la fureur homicide pour faire place au respect national.
Chacun emploie ce qu'il a de force pour empêcher la violation de la barrière sacrée ; la toucher leur semblerait un crime "De quel droit prétendez-vous seuls jouir de votre conquête? N'appartient-elle pas à tout Paris? La nuit bientôt s'avance. Hâtez-vous de quitter cette enceinte trop resserrée pour votre gloire. C'est au Palais-Royal, c'est au jardin des Tuileries, où tant de fois a été foulée aux pieds la souveraineté du peuple que vous devez planter ce trophée comme un monument éternel de la victoire que vous venez de remporter".
Des cris : Au Palais-Royal ! m’annoncent que ma ridicule harangue était goûtée.
Ils sortent, et nous remplissent de sang et de vin par les plus horribles embrassades".

Récit de ce qui s'est passé au Temple dans les journées du 2 et 3 septembre 1792, par un officier municipal de la Commune. Par Daujon
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A trois heures, nous entendîmes des cris affreux : le roi sortait de table, et jouait au trictrac avec ma mère, pour avoir une contenance, et pouvoir se dire quelques mots sans être entendus.
Le municipal qui était de garde dans la chambre se conduisit bien : il ferma la porte et la fenêtre, ainsi que les rideaux, pour qu'on ne vît rien. Les ouvriers du Temple et le guichetier Rocher se joignirent aux assassins, ce qui augmenta le bruit.
Plusieurs officiers de la garde et des municipaux arrivèrent; les premiers voulurent que mon père se montrât aux fenêtres. Les municipaux heureusement s'y opposèrent ; et mon père ayant demandé ce qui se passait, un jeune officier lui dit : "Eh bien! Puisque vous voulez le savoir, c'est la tête de madame de Lamballe qu'on veut vous montrer."
Ma mère fut saisie d'horreur : c'est le seul moment où sa fermeté l'ait abandonnée. (...)
Le bruit dura jusqu'à cinq heures. Nous sûmes que le peuple avait voulu forcer les portes; que les municipaux l'empêchèrent, en mettant à la porte une écharpe tricolore ; qu'enfin ils avaient permis que six des assassins fissent le tour de notre prison avec la tête de madame de Lamballe, mais à condition qu'on laisserait à la porte le corps, que l'on voulait traîner.
Quand cette députation entra, Rocher poussa mille cris de joie en voyant la tête de madame de Lamballe, et gronda un jeune homme qui se trouva mal, tant il fut saisi d'horreur à ce spectacle. (...)
Le municipal qui avait sacrifié son écharpe se la fit payer par mon père. Ma tante et moi nous entendîmes battre la générale toute la nuit ; ma malheureuse mère n'essaya pas même de dormir; nous entendions ses sanglots.

Mémoire sur la captivité des princes et princesses ses parents. Par Marie-Thérèse-Charlotte de France

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