lundi 26 novembre 2007

Mme de Tourzel et sa fille rendent visite à madame Royale au Temple


Madame royale d'après nature par un commissaire de la Commune


En arrivant au Temple, je remis ma permission aux deux gardiens de Madame, et je demandais à voir Madame de Chantereine en particulier. Elle me dit que Madame était instruite de tous ces malheurs, qu'elle nous attendait et que nous pouvions entrer. Je la priai de dire à Madame que nous étions à la porte. Je redoutais l'impression que pouvait produire sur cette princesse la vue de deux personnes qui, à son entrée au Temple, accompagnaient ce qu'elle avait de plus cher au monde, et dont elle était réduite à pleurer la perte; mais heureusement la sensibilité qu'elle éprouva n'eût aucune suite fâcheuse. Elle vint à notre rencontre, nous embrassa tendrement, et nous conduisit à sa chambre, ou nous confondîmes nos larmes sur les objets de ses regrets. Elle ne cessa de nous en parler, et nous fit le récit le plus touchant et le plus déchirant du moment où elle se sépara du Roi son père, dont elle était si tendrement aimée, et auquel elle était si attachée.
Je ne puis ajouter au récit de Cléry qu'un trait, qui peint la grandeur d'âme de ce prince et son amour pour son peuple.
Je laisse parler Madame.

"Mon père, avant de se séparer de nous pour jamais, nous fit promettre à tous de ne jamais penser à venger sa mort; et il était bien assuré que nous regarderions comme sacré l'accomplissement de sa dernière volonté. Mais la grande jeunesse de mon frère lui fit désirer de produire sur lui une impression plus forte. Il le prit sur ses genoux et lui dit: "Mon fils, vous avez entendu ce que je viens de dire; mais comme le serment est encore quelque chose de plus sacré que les paroles, jurez, en levant la main, que vous accomplirez la dernière volonté de votre père."
Mon frère lui obéit en fondant en larmes, et cette bonté si touchante fit encore redoubler les nôtres."

On ne peut rien ajouter à une semblable réflexion dans un pareil moment. Nous avions laissé Madame faible et délicate, et en la revoyant au bout de trois ans de malheurs sans exemple, nus fûmes bien étonnées de la trouver belle, grande et forte, avec cet air de noblesse qui fait le caractère de son visage. Nous fûmes frappées, Pauline et moi, d'y retrouver les traits du Roi, de la Reine, et même de Madame Elisabeth. Le ciel la destinait à être le modèle de ce courage qui, sans rien ôter à la sensibilité, rend cependant capable de grandes actions, ne permit pas qu'elle succombât sous le poids de tant de malheurs. Madame en parlait avec une douceur angélique; nous ne lui vîmes jamais un seul sentiment d'aigreur contre les auteurs de tous ses maux. Digne fille du Roi son père , elle plaignait encore les français, et elle aimait toujours ce pays où elle était si malheureuse; et sur ce que je lui disais que je ne pouvais m'empêcher de désirer sa sortie de France pour la voir délivrée de son affreuse captivité, elle me répondit avec l'accent de la douleur: "J'éprouve encore de la consolation en habitant un pays ou reposent les cendres de ce que j'avais de plus cher au monde.". Elle ajouta, fondant en larmes et sur le ton le plus déchirant: "J'aurais été plus heureuse de partager le sort de mes bien-aimés parents que d'être condamnée à les pleurer."
Qu'il était douloureux et touchant en même temps d'entendre s'exprimer ainsi une jeune princesse de quinze ans, qui, dans un âge où tout est espoir et bonheur, ne connaissait encore que la douleur et les larmes! Elle nous parla avec attendrissement du jeune Roi son frère, et des mauvais traitements qu'il essuyait journellement [...]. Je ne pus m'empêcher de demander à Madame comment avec tant de sensibilité, et dans une si affreuse solitude, elle avait pu supporter tant de malheurs.
Rien de si touchant que sa réponse, que je ne puis m'empêcher de transcrire: "Sans religion, c'eût été impossible; elle fut mon unique ressource, et me procura les seules consolations dont mon coeur puisse être susceptible; j'avais conservé les livres de piété de ma tante Élisabeth; je les lisais, je repassait ses avis dans mon esprit, je cherchais à ne pas m'en écarter et à les suivre exactement.
En m'embrassant pour la dernière fois et m'excitant au courage et à la résignation, elle me recommanda positivement de demander que l'on mit une femme auprès de moi. Quoique je préférasse infiniment ma solitude à celle que l'on y aurait mise alors, mon respect pour les volontés de ma tante ne me permit pas d'hésiter.
On me refusa, et j'avoue que j'en suis bien aise. Ma tante, qui ne prévoyait que trop le malheur auquel j'étais destinée, m'avait accoutumée à me servir seule et à n'avoir besoin de personne. Elle avait arrangé ma vie de manière à en employer toutes les heures: le soin de ma chambre, la prière, la lecture, le travail, tout était classé. Elle m'avait habituée à faire mon lit seule, me coiffer, me lacer, m'habiller, et elle n'avait, de plus, rien négligé de ce qui pouvait entrtenir ma santé. Elle me faisait jeter de l'eau pour rafraîchir l'air de ma chambre, et avait exigé, en outre, que je marchasse avec une grande vitesse pendant une heure, la montre à la main, pour empêcher la stagnation des humeurs."
Ces détails si intéressants à entendre de la bouche même de Madame nous faisaient fondre en larmes.

Mémoires de madame de Tourzel, gouvernante des enfants de France.

Portrait de madame de Tourzel


Liens et copies :

http://madameroyale.free.fr/


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