lundi 26 novembre 2007

Des sources de la révolution, par Joseph Fouché

Gravure allégorique à la réunion des Etats Généraux, les trois ordres


Vous qui vous déchaînez contre les prodiges de la révolution ; vous qui l'avez tournée sans oser la regarder en face, vous l'avez subie et peut-être la subirez-vous encore.
Qui la provoqua, et d'où l'avons-nous vue surgir ? Du salon des grands, du cabinet des ministres : elle a été appelée, provoquée par les parlemens et les gens du roi, par de jeunes colonels, par les petites-maîtresses de la cour, par des gens de lettres pensionnés, dont les duchesses s'érigeaient en protectrices et se faisaient les échos.
J'ai vu la nation rougir de la dépravation des hautes classes, de la licence du clergé, des stupides aberrations des ministres, et de l'image de la dissolution révoltante de la nouvelle Babylone. N'est-ce pas ceux qu'on regardait comme l'élite de la France, qui, pendant quarante ans, érigèrent le culte de Voltaire et de Rousseau ?

N'est-ce pas dans les hautes classes que prit faveur cette manie d'indépendance démocratique, transplantée des États-Unis sur le sol de la France ?
On rêvait la république, et la corruption était au comble dans la monarchie ! L'exemple même d'un monarque rigide dans ses mœurs ne put arrêter le torrent.
Au milieu de cette décomposition des classes supérieures, la nation grandissait et mûrissait.

A force de s'entendre dire qu'elle devait s'émanciper, elle finit par le croire. L'histoire est là pour attester que la nation fut étrangère aux manœuvres qui préparèrent le bouleversement.

On eût pu la faire cheminer avec le siècle ; le roi, les esprits sages le voulaient.

Mais la corruption et l'avarice des grands, les fautes de la magistrature et de la cour, les bévues du ministère, creusèrent l'abîme. Il était d'ailleurs si facile aux métreurs de mettre en émoi une nation pétulante, inflammable, et qui sort des bornes à la moindre impulsion !
Qui mit le feu à la mine ?
Étaient-ils du tiers-état l'archevêque de Sens, le genevois Necker, Mirabeau, Lafayette, d'Orléans, Adrien Duport, Chauderlos-Laclos, les Staël, les Larochefoucauld, les Beauveau, les Montmorency, les Noailles, les Lameth, les La Tour-du-Pin, les Lefranc de Pompignan, et tant d'autres moteurs des triomphes de 1789 sur l'autorité royale ?
Le club breton eût fait long feu sans les conciliabules du Palais-Royal et de Mont-Rouge.

Il n'y aurait pas eu de 14 juillet, si, le 12, les généraux et les troupes du roi eussent fait leur devoir. Besenval était une créature de la reine, et Besenval, au moment décisif, en dépit des ordres formels du roi, battit en retraite, au lieu d'avancer sur les émeutes. Le maréchal de Broglie lui-même fut paralysé par son état-major. Ces faits ne sauraient être contredits.

On sait par quels prestiges fut soulevée la multitude. La souveraineté du peuple fut proclamée par la défection de l'armée et de la cour.

Mémoires, de Joseph Fouché

Portrait de Fouché

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